Avoir peur de la chute en escalade est une émotion normale qui s'accompagne d'une prise de conscience des risques auxquels nous expose cette activité. Dans un premier temps, on a surtout peur de se faire mal en tombant ou on craint la réaction de son compagnon de cordée. En escalade sportive, maîtriser les risques d'une chute s'apprend, non pas en évitant le vol mais en l'intégrant dans la discipline et dans la performance. Pour se libérer de la peur de tomber, il ne suffit pas simplement d'être courageux, combatif ou casse cou. L'acceptation de la chute relève d'abord de notre capacité à y faire face et à en limiter le risque d'accident.
Quand on est débutant ou que l'on a peu de bagage en falaise, tomber n'est pas naturel et il faut passer par différentes étapes d'apprentissage pour s'engager dans une voie en sécurité. Chez d'autres grimpeurs plus expérimentés, la peur du vol est toujours présente jusqu'à gâcher leur plaisir de l'escalade et freiner leur progression. Puis, la peur de tomber en escalade n'est pas seulement une émotion négative et peut être un moteur pour progresser. Elle est souvent liée à plusieurs envies qui révèlent des aspects profonds de la pratique de ce sport.
SOMMAIRE
1. L'envie d'agir en sécurité
"En vous entraînant à tomber, vous apprenez à distinguer vos véritables préoccupations de vos peurs fantômes et vous renforcez votre compréhension des conséquences que peut avoir une chute. Vous apprenez aussi à tomber, réduisant ainsi, sans toutefois la supprimer complètement, la probabilité de vous blesser à la suite d'une chute "ordinaire".
Arno Ilgner - La voie des guerriers du rocher.
N'avoir jamais chuté en escalade peut entraîner une appréhension au-delà de la réalité d'une expérience de vol. Grimper en tête en pensant à la possibilité de se faire mal est une sensation insécurisante. C'est difficile au début de concevoir que son corps puisse être projeté dans le vide et que l'impact de la chute puisse être sans danger. Il y a donc une étape de familiarisation avec la chute qui passe par un apprentissage sur le terrain en présence d'une personne plus expérimentée que soi ou d'un professionnel.
Quels sont donc les points clés pour s'entraîner à prendre un vol en sécurité ?
Tout d'abord, checker son matériel, faire un nœud en bout de corde et se vérifier mutuellement sont des réflexes à adopter immanquablement.
La toute première étape de la chute se teste à travers l'escalade en moulinette :
Expérimenter la chute en moulinette autant du côté de celui qui grimpe comme de celui qui assure est une première phase à ne pas sous estimer. Par exemple en salle, dans un léger dévers sur toutes prises confondues, fixez-vous comme objectif d'utiliser le moins de prises possibles pour les mains. Après le troisième point d'ancrage seulement (pour éviter un retour au sol), votre assureur vous donne un peu plus de mou. Vous grimpez avec la corde qui est plus relâchée. Dans cet exercice, vous réaliserez donc des mouvements plus aléatoires où vous risquerez de tomber. Vous découvrirez alors cette première sensation de rebond de votre corps suspendu dans la corde. Le but étant qu'au moment de la chute, vous ne demandiez surtout pas à votre assureur de vous reprendre plus sec.
Débutants dans l'escalade en tête, commencez par des micros-chutes :
Après avoir clippé la troisième dégaine, laissez-vous volontairement tomber juste un peu au-dessus du point d'ancrage, puis augmentez progressivement la hauteur de chute jusqu'au clippage suivant. Pour créer une relation de confiance avec votre assureur, entraînez-vous à faire des chutes prévisibles en l'avertissant et imprévisibles pour renforcer sa vigilance et sa réactivité. Ces chutes inattendues correspondent à des situations fréquemment rencontrées en falaise en zippant ou bien en cassant une prise.
Grimpeurs plus réguliers et réticents à prendre un vol, continuez d'assurer des chutes de temps en temps.
Même si vous ne souhaitez pas prendre de vols en escalade pour des raisons qui vous sont propres, entraînez-vous cependant à bien réagir à l'assurage d'une chute. S'exercer en salle est un bon compromis pour écarter dans un premier temps les risques liés à l'escalade en milieux naturels de par les reliefs rocheux. Cet exercice appelé "école de vol" vous permets de garder les bons réflexes à l'assurage.
Quelle est la bonne posture à avoir quand on s'apprête à tomber ?
Tout va si vite qu'il n'y a pas grand chose à maitriser si ce n'est de ne pas chercher à résister au vol. Dans un premier temps, si vous pensez que vous allez tomber : prévenez votre assureur ("Fais gaffe !", "Suis-moi bien".) N'essayez surtout pas de vouloir vous raccrocher à une dégaine ou bien à dire "Prends-moi sec !" au risque de vous faire mal.
Laissez-vous partir en arrière avec cette pensée que vous devez vous écarter du mur. Gardez une posture tonique et à la fois souple pour bien amortir votre chute. Vos jambes et vos genoux sont légèrement fléchis. Vos mains vous aident à vous repousser naturellement de la paroi de façon à atténuer l'impact de votre chute à la réception.
Evitez de tombez quand la zone de chute ne s'y prête pas, par exemple une vire rocheuse. Observez le terrain dans lequel vous grimpez. Une chute en paroi verticale ou déversante présente un moindre risque qu'une voie entrecoupée de plateformes. La peur n'écartant pas le danger, l'expérience en falaise vous amènera à mieux identifier les zones potentiellement dangereuses.
Faîtes la différence entre un passage exposé et un passage engagé. Une chute de 6 à 8 mètres causée par l'éloignement des points dans une voie peut être impressionnante à voir et à vivre, et être tout à fait anodine. Alors qu'une petite chute au dessus d'une vire ou au départ d'une voie peut s'avérer dangereuse avec un retour à terre du grimpeur.
Soyez bien vigilant entre le premier et le troisième clippage des points afin d'éviter une chute au sol. Il est parfois préférable de renoncer à une voie et de faire la part des choses entre la peur qui bloque notre progression de celle qui nous stoppe face à l'intuition de se mettre en danger.
Pensez à bien gérer le tirage de la corde pour éviter les frottements contre le rocher. Ce qui a pour conséquences d'endommager la corde lors du vol et aussi de diminuer les effets de l'assurage dynamique.
Ne grimpez pas avec la corde derrière la jambe avec la probabilité en cas de chute de vous retourner à l'envers. En grimpant, contrôlez visuellement le cheminement de votre corde au bout de laquelle votre assureur veillera à ce qu'elle vous suive correctement.
Ne prenez pas cette habitude à clipper à bout de bras, en étant positionné trop bas par rapport au point d'ancrage. Ceci pour éviter de tomber avec le mou dans la main. Le clippage est un facteur important dans la diminution des risques d'une mauvaise chute. Entraînez-vous à mousquetonner au niveau du bassin et dans une position idéalement relâchée, les bras tendus et en respirant. Quand vous avez un point difficile à clipper en raison de votre taille ou du caractère engagé du passage, n'hésitez pas à utiliser une grande dégaine ou à la rallonger avec une sangle.
2. L'envie d'être (r)assuré
"On évoque l'école de vol pour progresser, mais c'est d'abord l'école d'assurage dont il faudrait parler." Arnaud Petit
On a aussi peur du vol parce qu'on se demande comment notre assureur va réagir à l'autre bout de la corde. Grimper sereinement s'accompagne d'une confiance que l'on donne à son partenaire de grimpe. On le sait attentif et compétent en assurage. Si vous grimpez avec quelqu'un que vous ne connaissez pas, assurez-vous alors de ses compétences. Se vérifier avant de partir, ne pas donner inutilement de mou, bien se placer pour assurer, bien communiquer entre avertissements et encouragements sont autant d'éléments qui vous permettent d'instaurer un cadre sécurisant.
Considérez également à l'assurage le rapport poids/taille de votre cordée, en fonction duquel le choix de votre dispositif d'assurage est déterminant.
Si vous assurez une personne beaucoup plus légère que vous, pensez à bien accompagner sa chute en donnant un peu de mou (une vingtaine de centimètres) ou à vous avancer vers la paroi. On appelle cela dynamiser une chute pour diminuer sa force de choc.
Si au contraire, vous assurez quelqu'un de plus lourd que vous, privilégiez un appareil à freinage assisté de type grigri, atc pilot, click up... Car la corde est bloquée automatiquement dans une came, et vous ne risquez pas au moment d'être surélevé par votre grimpeur de lâcher la corde de la main.
Se libérer de la peur de tomber n'est pas facile, mais on peut toutefois l'atténuer par l'apprentissage des bons gestes de sécurité et l'instauration d'une relation de confiance avec son assureur. Mieux vous maîtriserez les paramètres de l'escalade en tête, plus vous serez à l'aise pour passer cette première étape d'accepter la chute en escalade, qui un jour ou l'autre est inévitable et de grimper ainsi plus détendu.
3. L'envie de progresser
Une fois passé le cap de l'expérimentation du vol et de ses compétences requises en assurage, vous êtes prêts pour l'étape suivante : progresser en tombant.
Se libérer de la peur de tomber parce qu'on y prête moins d'attention, vous permet de mieux vous concentrer sur votre technique.
Vaincre sa peur de la chute aide à s'améliorer sur les mouvements dynamiques comme la technique du jeté. Il n'y a pas de place pour l'hésitation, et la prise d'élan donnée par l'impulsion des jambes n'est pas réfrénée par l'appréhension du vol. Car quand on n'ose pas tomber, on se coupe dans son élan et l'engagement n'est pas total. Ce qui tend à devenir statique et moins fluide dans sa façon de grimper. Et cette peur va donc s'imprégner dans sa gestuelle où il n'y aura pas de relâchement dans les postures. Alors que l'escalade se compose de positions constantes d'équilibre et de déséquilibre.
Afin de progresser, "travaillez" une voie difficile et qui représente un challenge, dont la cotation est au moins deux fois supérieure à votre niveau moyen où vous êtes à l'aise. Vous réaliserez en la répétant plusieurs fois que la chute est nécessaire pour réussir à enchaîner votre défi. Travailler en tête des voies plus difficiles favorise donc la progression et le dépassement de soi. Aller toujours un peu plus loin même si l'on pense que le vol est inévitable parce qu'on est fatigué, permet d'augmenter un peu plus sa force physique et psychologique. Etre capable de tomber dans le mouvement est un point clé dans la progression car on a tenté jusqu'au bout de ses capacités un mouvement d'escalade aléatoire avec une probabilité d'échec ou de réussite.
4. L'envie de réussir
Parce que l'on ne se préoccupe plus de la chute comme un problème et qu'elle est pleinement intégrée à notre pratique, il y a cette autre étape de ne plus accepter le vol pour parvenir à son objectif d'enchaînement. La performance en escalade sportive, c'est enchainer une voie qui est difficile pour son niveau et dont la réussite représente un challenge à relever.
Il s'agit de faire preuve de combativité, on se donne à fond, ce qui est déjà une performance en soi. Car ce n'est pas toujours facile de mobiliser à un instant donné toutes les ressources mentales et physiques en nous. C'est un véritable entraînement et cela peut être éprouvant. C'est probablement la raison pour laquelle certains grimpeurs se satisfont de rester dans leur zone de confort en grimpant rarement à la limite de leurs possibilités. Il est plus facile parfois de choisir la chute que de se mettre réellement à l'épreuve.
"Dans la zone de risque, votre esprit conscient vous ment. Il essaiera de vous ramener dans son territoire : la zone de confort. Identifiez les pensées de confort et souvenez-vous de votre intention : s'engager pleinement dans l'ascension." Arno Ilgner - La voie des guerriers du rocher
Le dépassement de soi procure alors une satisfaction exaltante, d'autant plus quand il mène au succès. La chute en escalade est ici liée à une symbolique d'échec et de réussite.
Quand penser que tomber c'est échouer et que l'on associe cet échec à l'estime de soi, on se confronte à des émotions négatives qui peuvent être décuplées au moment de la chute. Il est courant d'entendre des grimpeurs qui dans l'instant qui précède un vol, sont dans des états de colère ou de déception parce qu'ils ont raté leur essai. Et quand l'envie de réussir est perturbée par un manque de confiance en soi, ou représente trop d'enjeux personnels, on se déconcentre de ses objectifs premiers, en proie à des pensées parasites qui peuvent saboter une tentative.
Se dire que tomber c'est avoir tout donné ou qu'au delà de la finalité d'enchaîner la voie on a cherché avant tout à bien grimper, est une approche plus constructive pour réaliser un enchaînement. La satisfaction d'enchaîner une voie difficile est souvent le résultat d'une répétition et de l'acceptation du vol comme étape de progression.
Plusieurs raisons se rattachent donc à la peur de tomber en escalade : un manque d'expérience, une analyse d'un terrain comportant des risques avérés (chutes de pierre, passage exposé), à des peurs émotionnelles de ne pas réussir, de ne pas être à la hauteur de ses ambitions, du regard de l'autre... Derrière chacune de ces appréhensions, se cachent des envies et nous avons le choix d'y répondre en les observant. La peur se maîtrise mieux par la connaissance, l'expérience et la compréhension de soi-même dans son rapport à la chute. La peur nous alerte d'un danger, nous fait perdre notre lucidité, nous procure de l'adrénaline, nous pousse à avancer, à reculer, à se battre ou à renoncer. C'est une faiblesse et une force à la fois. Quand on est capable de grimper en étant attentif et serein, alors la peur laisse la place à une sensation très agréable : la liberté.
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