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La peur de tomber et les envies qu'elle révèle !

Dernière mise à jour : 20 déc. 2020


Avoir peur de la chute en escalade est une émotion normale, qui s'accompagne d'une prise de conscience du risque de cette activité et de son environnement. Il ne suffit pas simplement de faire preuve de courage pour se libérer de la peur de tomber. L'acceptation de la chute est plus à appréhender à travers notre capacité à y faire face et à en limiter le risque d'accident. Le vol fait partie intégrante de l'escalade sportive et il est inévitable quand on veut progresser.


Quand on est débutant ou que l'on a peu de bagage en falaise, tomber n'est pas naturel et il est essentiel de passer par différentes étapes d'apprentissage pour s'engager dans une voie en sécurité. Chez d'autres grimpeurs plus expérimentés, la peur du vol est toujours présente jusqu'à gâcher leur plaisir. Voici quelques réflexions et conseils sur ce thème qui sera revisité à travers les envies et les objectifs qui sont profondément liés à la peur de tomber.


SOMMAIRE



1. L'envie d'agir en sécurité


"En vous entraînant à tomber, vous apprenez à distinguer vos véritables préoccupations de vos peurs fantômes et vous renforcez votre compréhension des conséquences que peut avoir une chute. Vous apprenez aussi à tomber, réduisant ainsi, sans toutefois la supprimer complètement, la probabilité de vous blesser à la suite d'une chute "ordinaire".

Arno Ilgner - La voie des guerriers du rocher.



N'avoir jamais chuté en escalade peut entraîner une appréhension au-delà de la réalité d'une expérience de vol. Cette peur de tomber peut être une sensation très insécurisante car elle évoque la possibilité de se faire mal. C'est alors difficile de concevoir que son corps soit projeté dans le vide et que cela puisse être sans danger. Il est donc nécessaire de se familiariser avec la chute ; cet apprentissage se fait sur le terrain en présence d'un professionnel ou d'une personne plus expérimentée que soi.


Quels sont donc les points clés pour s'entraîner à prendre un vol en sécurité ?


Tout d'abord, grimpez avec du matériel en lequel vous avez confiance. Contrôlez l'état de la corde qui ne doit pas présenter de traces de coupure ou d'usure au niveau de la gaine.


Peu importe votre niveau de pratique, systématisez le nœud en bout de corde et la vérification mutuelle dans la cordée.


Débutants dans l'escalade en tête, commencez par des micros-chutes après la troisième dégaine en vous laissant tomber juste un peu au-dessus du point d'ancrage, puis augmentez progressivement la hauteur de chute jusqu'au clippage suivant.


Pour créer une relation de confiance avec votre assureur, entraînez-vous à faire des chutes prévisibles en l'avertissant et imprévisibles pour renforcer sa vigilance et sa réactivité. Ces chutes inattendues correspondent à des situations fréquemment rencontrées en falaise, par exemples, en zippant ou bien en cassant une prise.


Grimpeurs plus réguliers et réticents à prendre un vol, continuez d'expérimenter des chutes de temps en temps. Le faire en salle est un bon compromis pour en diminuer l'appréhension. Cet exercice de répétition vous aidera à grimper en étant plus relâché et à développer les bons réflexes pour que la chute puisse se dérouler dans les meilleures conditions possibles.


Alors quelle est la bonne posture à avoir quand on s'apprête à tomber ?


Tout va si vite qu'il n'y a pas grand chose à maitriser si ce n'est de ne pas chercher à résister au vol. Dans un premier temps, si vous pensez que vous risquez de tomber : prévenez votre assureur ("Fais gaffe !", "Suis-moi bien".)

N'essayez surtout pas de vouloir vous raccrocher à une dégaine ou bien à dire "Prends-moi sec !" au risque de vous faire très mal.


Laissez-vous partir en arrière avec cette idée que vous devez vous repousser du mur. Ne relâchez pas vos muscles en vous laissant tomber à plat ! Gardez bien une posture tonique pour que vous puissiez être capable d'amortir avec vos jambes au moment de la réception. Vos bras et votre regard accompagnent votre vol jusqu'au retour contre la paroi, et vous aident si besoin à vous en écarter quand l'impact de la chute est un peu fort.


Choisissez une zone de chute appropriée en observant le terrain dans lequel vous grimpez. Une paroi verticale ou déversante conviendra mieux qu'une voie entrecoupée de reliefs. La peur n'écartant pas le danger, l'expérience en falaise vous amènera à mieux identifier les zones potentiellement dangereuses. Vous distinguerez également la différence entre un passage exposé et un passage engagé. Une chute de 6 mètres peut être impressionnante à voir et à vivre, du fait de l'éloignement des points d'ancrage et être tout à fait anodine. Alors qu'une petite chute au dessus d'une vire ou au départ d'une voie peut être dangereuse.


Soyez bien vigilant entre le premier et le deuxième clippage d'une voie afin d'éviter un retour au sol. Il est parfois préférable de renoncer, de faire la part des choses entre la peur qui refrène notre potentiel de celle qui nous stoppe face à l'intuition de se mettre en danger.


Apprenez à bien gérer le tirage de la corde pour éviter que celle ci ne frotte contre le rocher. Ce qui a pour conséquences d'endommager la corde lors du vol et aussi d'en diminuer les effets de l'assurage dynamique.


Ne grimpez pas avec la corde derrière la jambe avec la probabilité en cas de chute de vous retourner à l'envers. En grimpant, contrôlez visuellement le cheminement de votre corde au bout de laquelle votre assureur veillera à ce qu'elle vous suive correctement.


Ne prenez pas cette habitude à clipper trop bas pour ne pas tomber avec le mou dans la main. Le clippage est un facteur important dans la diminution des risques de mauvaise chute. Entraînez-vous à mousquetonner au niveau du bassin et dans une position idéalement relâchée (les bras tendus.) Quand vous avez un point difficile à clipper en raison de votre taille ou du caractère engagé du passage, n'hésitez pas à utiliser une grande dégaine ou à la rallonger avec une sangle.


Se libérer de la peur de chuter fait partie d'une situation d'apprentissage de l'escalade en tête. Mieux vous en maîtriserez les techniques, plus vous serez à l'aise pour passer cette première étape de se laisser tomber volontairement et en confiance avec la personne qui vous accompagne.



2. L'envie d'être (r)assuré


"On évoque l'école de vol pour progresser, mais c'est d'abord l'école d'assurage dont il faudrait parler." Arnaud Petit



On peut avoir aussi peur du vol non pas tant dans le fait de sentir son corps partir en arrière mais surtout parce qu'on se demande comment notre assureur va réagir. Il est essentiel de grimper avec quelqu'un en qui vous avez confiance parce qu'il est attentif et qu'il est capable de bien dynamiser. Ce qui signifie d'amortir l'impact lié à l'arrêt de la chute du grimpeur. Si vous grimpez avec des personnes que vous ne connaissez pas, assurez-vous de leurs compétences en assurage. La vérification mutuelle avant de grimper, la parade, ne pas donner inutilement du mou, être bien placé pour assurer, bien communiquer entre avertissements et encouragements, sont autant d'éléments qui vous permettent d'instaurer plus ou moins rapidement un cadre sécurisant.


Considérez également à l'assurage le rapport poids/taille de votre cordée, en fonction duquel le choix de votre dispositif d'assurage est déterminant.


Si vous assurez une personne beaucoup plus légère que vous, un frein classique de type

réverso, vous aidera à mieux amortir la chute. Car la corde coulisse mieux dans le frein et permets de mieux doser la force de freinage.


Si au contraire, vous assurez quelqu'un de plus lourd, un appareil à freinage assisté de type grigri est plus rassurant, car la corde est bloquée automatiquement dans une came. Ce système parce qu'il est autobloquant a tendance parfois à rendre l'assureur inattentif. Il n'est pas rare de voir des personnes ne plus tenir la corde de vie en dessous d'un grigri, alors que ce geste est la base de la sécurité en escalade. Même si la corde est pincée dans la came, le risque zéro n'existe pas. Voir quand on grimpe son assureur lâcher la main de la corde, n'est pas une vision rassurante, surtout quand on a peur de tomber.



3. L'envie de progresser


Une fois que vous avez passé le cap de l'expérimentation du vol et que vous grimpez plus sereinement, vous être prêt à passer à la deuxième étape : accepter de tomber en réalisant un mouvement.


Se libérer de la peur de tomber parce qu'on y prête plus attention, vous permet de mieux vous concentrer sur votre technique.


Maintenant que vous êtes capable de tomber volontairement, ce qui est déjà un progrès mental, vous pouvez vous centrer d'avantage sur d'autres composantes de l'escalade : la gestuelle, la lecture de voie, la concentration, la tactique, la mémorisation, etc.


En se libérant de la peur de la chute, vous pouvez vous améliorer sur les mouvements dynamiques comme la technique du jeté. Car quand on ne veut pas tomber, on est coupé dans son élan, on devient statique et moins fluide dans sa façon de grimper et cette gestuelle s’imprègne en vous. Alors que l'escalade exige des mouvements où l'on s'élance sur les prises, et où l'on maintien des positions constantes d'équilibre et de déséquilibre.


Afin de progresser techniquement et mentalement, grimpez en explorant différents profils de la dalle au dévers et sortez de votre zone de confort. Travaillez alors une voie dont la cotation se situe au-dessus de votre niveau moyen. Vous réaliserez en la répétant plusieurs fois, que la chute est inévitable pour prendre du niveau et qu'elle vous amène à une recherche gestuelle plus approfondie.



4. L'envie de réussir & l'envie d'enchaîner


La performance en escalade sportive, c'est enchainer une voie qui est difficile pour son niveau et dont la réussite représente un challenge à relever. Parce que l'on ne se préoccupe plus de la chute comme un problème et qu'elle est pleinement intégrée à notre pratique, il y a cette autre étape de ne plus accepter le vol pour parvenir à son objectif d'enchaînement.


Il s'agit de faire preuve de combativité, on se donne à fond, ce qui est déjà une performance en soi. Car ce n'est pas toujours facile de mobiliser à un instant donné toutes les ressources mentales et physiques en nous. C'est un véritable entraînement et cela peut être éprouvant. C'est probablement la raison pour laquelle certains grimpeurs se satisfont de rester dans leur zone de confort en grimpant rarement à la limite de leurs possibilités. Il est plus facile parfois de choisir la chute que de se mettre réellement à l'épreuve, même lorsque l'on cherche à progresser.



"Dans la zone de risque, votre esprit conscient vous ment. Il essaiera de vous ramener dans son territoire : la zone de confort. Identifiez les pensées de confort et souvenez-vous de votre intention : s'engager pleinement dans l'ascension." Arno Ilgner - La voie des guerriers du rocher


Le dépassement de soi procure alors une satisfaction exaltante quand il mène au succès. Enchaîner une voie difficile demande à se concentrer tout le long du parcours. Et quand l'envie de réussir rejoint la peur de l'échec, la concentration en est troublée car l'objectif à atteindre vous place dans une situation stressante. Et quand l'envie de réussir est perturbée par un manque de confiance en soi, ce sont les mêmes pensées parasites qui peuvent saboter votre essai. Quand penser que tomber c'est échouer et que l'on associe cette déception à l'estime de soi, on se confronte à des émotions négatives qui sont décuplées au moment de la chute. Il est courant d'entendre des grimpeurs qui dans l'instant qui précède un vol, se mettent en colère contre eux-mêmes jusqu'à s'insulter, ou bien pleurer ou pester contre la voie...


Cette attitude révèle aussi la motivation à grimper à la limite de ses possibilités et l'enjeu personnel que cela représente pour chacun d'entre nous. Tempérer nos pensées sur nos attentes en escalade est une façon de dédramatiser la chute par rapport à sa portée symbolique de réussite ou d'échec. Se dire que tomber c'est avoir tout donné ou qu'au delà de la finalité d'enchaîner la voie on a cherché avant tout à bien grimper, est une approche qui est plus constructive pour réaliser un enchaînement.



La peur de tomber en escalade est donc toujours reliée à quelque chose : à un manque de compétence technique pour maîtriser une chute, à un manque d'expérience sensationnelle du vol, à une conséquence de l'analyse d'un terrain qui comporte des risques (chutes de pierre, passage exposé), à une peur de ne pas réussir, à une peur de ne pas être à la hauteur de ses ambitions, ou encore à une peur du regard de l'autre... Derrière chacune de ces peurs, se cachent des envies et nous avons le choix d'y répondre en les observant. La peur nous alerte d'un danger, nous fait perdre notre lucidité, nous procure de l'adrénaline, nous pousse à avancer, à reculer, à se battre ou à renoncer.


La peur à travers les désirs qu'elle révèle, se maîtrise mieux par la connaissance, l'expérience et la compréhension de soi-même dans son rapport à la chute.


L'escalade est un sport à risques où la peur fait partie de cette activité. En cela la notion d'engagement prend du sens car elle implique la prise de décision : celle, par exemple de réaliser tel mouvement et d'y croire. S'engager parfois dans une section difficile amène aussi à une prise de risques qui est de ne pas réussir un pas dur, de se prendre un gros vol, d'être face à ses émotions... Dépasser sa peur de tomber, c'est être capable de l'avoir intégrée en nous, elle est présente mais elle ne représente plus pour autant une menace pour avancer dans son escalade. Quand on est capable de grimper en étant concentré, présent à ce que l'on vit et à ce que l'on aime faire, alors la peur laisse place à une sensation très agréable : la liberté.


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